Entretien: Pierre Dumayet et Michèle Bernstein

Entretien entre Pierre Dumayet et Michèle Berstein au sujet de Tous les chevaux du roi.
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Durée : 8 min 9 sec.

Pierre Dumayet (PD): C’est un premier roman. C’est un livre très brillant, très narquois. On ne voit pas pourquoi il n’aurait pas de succès, je lui en souhaite. Il a tout pour plaire ou presque tout. Je voudrais, avant d’entrer dans ce livre, que vous me racontiez, puisque c’est un premier roman, l’histoire d’un premier roman. Ça me paraît intéressant tout de même. Vous travailliez dans une maison d’édition lorsque vous avez décidé d’écrire ce livre n’est-ce pas ?

Michèle Bernstein (MB): Oui, c’est par hasard. C’est parce que je ne sais rien faire d’autre.

PD : Qu’est-ce que vous faisiez dans cette maison d’édition ?

MB : Pas grand chose, pas grand chose. J’apportais des papiers, je taillais des bouts de crayons et puis j’avais un titre de secrétaire, mais ça ne servait absolument à rien.

PD : Et alors vous avez écrit ce roman et puis après qu’est-ce que vous avez fait ?

MB : Je l’ai tapé à la machine, je l’ai mis dans des paquets, j’ai mis des faux noms.

PD : Dans combien de paquets ?

MB : Quatre paquets.

PD : Vous avez envoyé votre manuscrit à quatre éditeurs ?

MB : Voilà. Je l’ai envoyé à quatre éditeurs sous un faux nom, puis j’ai attendu des réponses.

PD : Sous le même faux nom ?

MB : Non, sous des faux noms différents.

PD : On peut savoir lesquels ?

MB : Et bien non, oui enfin je m’appelle Michèle Bernstein, le premier je l’avais appelé,  j’avais signé Danielle Aaron et pour mieux me reconnaître dans les réponses après j’ai pris Baron, Caron, Daron.

PD : Et alors quelle était la réaction des trois éditeurs qui n’ont pas accepté ce manuscrit puisque…

MB : J’avais…Il a été refusé. Il y en a un autre qui m’a convoquée…

PD : Pourquoi ? Vous ne connaissez pas les motifs ?

MB : Non, je ne sais pas les motifs. Ça ne lui a pas plu et il y en a un autre il m’a dit, il m’a convoquée, et puis c’est pas le…j’ai pas vu un directeur littéraire, j’ai vu un sous-directeur littéraire qui m’a dit c’est trop bien écrit. Oui, on m’a dit ce n’est pas assez maladroit. Maintenant il faut être gauche.

PD : Gauche ?

MB : Il faut une certaine maladresse. Oui, faut faire gauche. Ça n’est pas un cri du cœur. Alors je lui ai dit si, un instant c’est un cri du cœur. Il m’a dit un cri du cœur ça ne se lit pas comme ça. Alors je suis partie. On était un peu froids. Et puis le troisième a été assez gentil aussi, mais on a parlé de différentes possibilités puis ça ne s’est pas fait; et puis en même temps c’était pris, alors…

PD : C’était pris chez Corrêa?

MB : Oui.

PD : Le fait d’avoir travaillé dans une maison d’édition, vous a t-il aidé à deviner ce qu’il faillait faire pour être éditée ?

MB : Sans doute, mais on ne s’en rend pas très bien compte soi-même.

PD : Si, je crois qu’on se rend compte assez bien soi-même. Il y a un certain nombre de conventions que vous avez voulu respecter.

MB : Ah, les conventions…on apporte chacun sa petite pierre à la cathédrale, alors évidemment on travaille dans la même mine.

PD : Oui, mais par exemple, à un certain moment, dans une bonne partie de ce livre, vos personnages prennent des vacances sur la Côte d’Azur, à Saint-Paul-de-Vence.

MB : Oui, moi je ne suis jamais allée par exemple, mais eux ils y vont.

PD : Et pourquoi ?

MB : C’est bien pour des personnages de roman d’aller sur la Côte d’Azur, vous ne trouvez pas ?

PD : Est-ce que vous ne pensez pas que c’est nécessaire même, non ?

MB : Oh nécessaire ? Non, pas vraiment, mais ça leur fait plaisir en tout cas à ces personnages. Moi je me mets à leur place.

PD : Vous ne connaissiez pas Saint-Paul ?

MB : Non.

PD : Vous parlez beaucoup des cafés de Saint-Paul. Comment avez vous fait pour savoir…

MB : Moi j’ai pensé que tous les cafés du monde étaient pareils.

PD : C’est pas vrai.

MB : C’est pas vrai ? Enfin il y a des différences, mais j’ai pensé que les cafés de Saint-Paul devaient être comme ça.

PD : Vous m’avez dit comment vous avez travaillé tout à l’heure. Vous avez demandé à quelqu’un ?

MB : Ah oui, j’ai demandé aussi combien il y en avait parce que je ne pouvais pas mettre quatre si il y en avait eu quinze.

PD : Il y a une voiture, si. Il y a souvent des voitures, non ? Des voitures…

MB : Oui. Je ne sais pas conduire, non, mais en fait une voiture… on dit on prend une voiture et…

PD : Est-ce que c’est des voitures comme dans les livres de Françoise Sagan?

MB : Je ne sais pas. Je ne sais pas. J’en ai pas vu. Je n’ai pas vu celles non plus des romans de Françoise Sagan. Elles devaient être plus belles.

PD : On boit beaucoup. Oui…On boit beaucoup hein dans votre livre aussi.

MB : Ah oui, ils boivent, ils boivent.

PD : Ça fait partie des choses que doivent faire les personnages de roman aussi, non ?

MB : Non, mais les miens ils boivent tout le temps.

PD : Oui, y’en a beaucoup d’autres aussi.

MB : Mais ils boivent bien. Ils boivent bien.

PD : Ils boivent français, hein. Ils boivent pas de whiskey. Ils boivent du marc, hein.

MB : Oui, et puis ils boivent avec élégance… après ils ne sont pas très ivres.

PD : Et du style de ce roman, est-ce que vous saviez, euh, ce qu’il fallait choisir ? Est-ce que vous saviez qu’il fallait écrire d’une certaine manière ? Brève ? Sèche ?

MB : Bien, oui on peut écrire d’une façon brève et sèche. C’est facile. C’est compréhensible.

PD : C’est comme ça qu’il faut écrire en ce moment ?

MB : Non, ce n’est pas forcé. On peut écrire comme ça. On peut écrire autrement.

PD : En fait, il se trouve que vous avez écrit comme ça.

MB : Oui.

PD : Quel est le genre de votre roman enfin ? À quoi peut on le comparer ?

MB : Oh, je ne sais pas. À quoi vous le comparez ?

PD : Je ne sais pas. Il vous paraît absolument unique en son genre ?

MB : Oh non, non, non.

PD : Bon, alors ?

MB : Eh bien, si on considère que c’est un roman et simplement un roman, on peut le comparer à tous les autres romans qui existent, en tant que romans, et puis après il y a des catégories.

PD : Oui. Et dans quelle catégorie le mettez-vous ?

MB : Eh bien, ce n’est pas un roman historique. C’est une histoire d’amour. Ça c’est déjà un genre d’être une histoire d’amour.

PD : Oui, et est-ce qu’on peut aussi définir un peu ce roman par euh… la morale du couple qui en est le personnage principal ?

MB : Au sens courant du terme, ça serait plutôt des gens immoraux. Mais si on prend le mot morale à un sens plus détaché, comme la recherche d’une conduite, d’une certaine manière acceptable de vivre, alors ce sont des gens qui sont à la recherche d’une nouvelle morale, de nouveaux rapports humains.

PD : Bon, peut-être maintenant serait-il temps même de nous dire vaguement de quoi il s’agit ?

MB : Et bien, il y a cinq ou six personnes qui s’aiment toutes, alors entre cinq ou six personnes qui s’aiment toutes il se passe des choses pas compliquées pour qu’on puisse les raconter ici.

PD : Oui. Mais en fait, même si c’est tout ce qui se passe est en rapport justement avec, cette morale immorale, n’est-ce pas ?

MB : Oui, au milieu, au milieu, de ces personnes il y a un couple, c’est un garçon et une fille qui sont mariés, qui s’aiment et qui s’aiment suffisamment pour se laisser libres et pour ne pas s’empêcher de vivre.

PD : C’est ça…mais il me semble que si on…il y en a un bon tiers des romans contemporains qui sont habités par des personnages qui ont cette morale, non ?

MB : Heureusement!

PD : Oui, mais c’est un fait, non ?

MB : Oui, il y en a, il y en a, il y en a… il y en a. Non, je ne sais pas. Vous êtes peut être au dessus de la vérité, oui

PD : Et vous avez l’impression que l’arrière suit ? J’ai l’impression que presque seuls les personnages de roman se comportent comme cela, non ?

MB : Je ne sais pas. Vraiment, je ne sais pas.

PD : Vous avez répondu vous même à cette question… y’a…votre personnage principal dit: « nous sommes des personnages de roman » , ce qui est très habile.

MB : Il se rend bien compte des choses.

PD : « D’ailleurs vous et moi nous parlons par petites phrases sèches, n’est-ce pas ? Nous avons même quelque chose d’inachevé, voilà comment sont les romans. » C’est très habile ça.

MB : De sa part ?

PD : Non, de la vôtre enfin.

MB : Et bien, que voulez-vous, c’est un personnage de roman qui se rend compte qu’il est dans un roman.

PD : Je crois que…Ils…

MB: Ils descendent du roman, ils se regardent passer…

PD: Ça semblait être…je l’ai lu un peu comme une parodie du roman, j’ai eu tort ?

MB : Non pas, c’est une histoire un peu sérieuse quand même.

PD : Oui…c’est pas parodique ?

MB : On est toujours plus ou moins parodique quand on se sert d’un moyen, mais enfin non ce n’est pas vraiment un roman parodique.

PD : Il y a des phrases… « Enfin je ne suis pas très, très perverse, je suis du genre faussement naïf…genre je me réveille toujours plus tôt dans un lit dont je n’ai pas l’habitude. » C’est pas parodique ça ? C’est pas…

MB : Non puisque c’est un des personnages du roman, qui le dit. Les personnages de romans ne peuvent pas être parodiques.

PD : C’est un roman, hein ? C’est pas un exercice de style.

MB : C’est un roman.

PD : Mais j’ai plutôt l’impression que c’est un moyen que vous avez trouvé, excellent d’ailleurs, de démontrer que vous avez beaucoup de talent…je crois que c’est plutôt ça qu’un roman…

MB : Merci.

PD : Merci.